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Mai 68 à Tarnos

Des voitures renversées dans les rues de Paris, des pavés qui volent, une libération sexuelle renversante,… Ces images d’épinal de Mai 68 ne présentent qu’une partie des « évènements » s’étant déroulés à cette période. Les luttes revendicatives pour le pouvoir d’achat, les libertés syndicales, la défense de la Sécurité Sociale, l’emploi, etc. ont préparé le terrain de ce qui se transformera en explosion sociale dès mars 1968.

1967 : de premières mobilisations

Dans notre bassin de vie, dès janvier 1967, l’annonce des fusions de Breguet et de Dassault inquiète : on redoute des licenciements. Le 1er février, à l’appel de la CGT, de la CFDT et de la FEN, des milliers de salariés cessent le travaillent et manifestent à Bayonne, des métallos aux postiers en passant par les « gars du bâtiment ». Tous ont en tête la fermeture encore récente des Forges de l’Adour, à Boucau et Tarnos, dont seules les luttes et la mobilisation des pouvoirs publics locaux et nationaux ont permi la reconversion de nombres d’ouvriers et l’implantation de nouvelles usines.

Dans la jeune usine de Turbomeca, à Tarnos, les travailleurs se mobilisent. Craignant une propagation des actions revendicatives, le Patronat cède, et les ouvrier obtiennent 4 % d’augmentation des salaires en février 1967, qui viennent s’ajouter aux deux précédentes augmentations : 2 % en mars 1966 et 2 % en août 1966.

Les attaques du Gouvernement gaulliste contre la Sécurité sociale, qui annonce vouloir recourir aux ordonnances, et les menaces locales sur l’emploi dans un contexte de hausse du chômage, provoquent de nouvelles mobilisations au printemps 1967.

À Boucau-Tarnos, le SCIBA est en difficulté, et les 170 ouvriers (pour la plupart anciens métallos des Forges de l’Adour) se sont mis en grève pour percevoir leur paye.

Début 1968, la situation s’aggrave

À Tarnos, chez Latimier, des actions sont engagées pour s’opposer aux licenciements de 12 ouvriers. Le bureau du Comité de Défense, créé pour la sauvegarde des intérêts des travailleurs des Forges de l’Adour, se réunit avec Jean Abbadie et André Maye, maires communistes de Boucau et Tarnos, en présence de députés FGDS Henri Grenet et Lavielle.

Toutes les catégories de travailleurs constatent l’aggravation de leur situation. Dans les villes voisines, des emplois, voire des entreprises sont sur la scelette : Manufacture d’armes bayonnaises (MAB), Fonderie de Mousserolles, Biarritz Shoes…

Dans la même période, 200 délégués de syndicats agricoles dénoncent en assemblée générale, à Bayonne, les promesses non tenues suite à l’entrée de la France dans le Marché Commun.

L’accélération de la protestation

Le 5 mars, le journal « Côte basque » titre : « Menaces d’agitation dans le Secteur Public », prédisant qu’« en France, on pourrait connaître, dans les semaines ou les mois à venir, des poussées de fièvres sociales ». Il ne pensait pas si bien dire !

Pour la première fois depuis de nombreuses années, les organisatoins syndicales CGT, CFDT, FO et FEN manifestent côte à côte, place du Réduit à Bayonne, le 27 mars à 18h, appelant la population et les commerçants à les rejoindre. Le PCF et la Fédération de la Gauche ont appelé dans un communiqué commun à se joindre à cette mobilisation. Les manifestants barrent le Pont Saint-Esprit, dégagé sans heurt par les CRS.

Mai 68

Conscients de la tension sociale qui traverse le pays, les députés votent à l’unanimité l’attribution d’une quatrième semaine de congés payés pour l’ensemble des travailleurs (dont près de 2 millions étaient encore privés). Mais il est trop tard, et c’est trop peu.

Dans notre bassin de vie, l’émotion est encore vive après le suicide de Jean Ducassou, 61 ans, qui faisait partie des 56 licenciés des fonderies de Mousserolles après 47 ans d’ancienneté.

Les cheminots se mobilisent contre la fermeture de la ligne Bayonne-Saint-Jean-Pied-de-Port et, comme les agents des PTT, pour une amélioration de leurs salaires et de leurs conditions de travail. Partout, les revendications s’élargissent.

Alors que les images des affrontements à Paris entre étudiants et policiers consternent localement, une grève de 24h est lancée de manière unitaire le 11 mai pour le lundi 13. L’Union locale CGT « appelle les travailleurs à mieux renforcer leur unité pour créer les conditions d’un rassemblement plus large et plus puissant. ».

Sont notamment revendiqués :

  • la retraite à 60 ans, avec 90 % du salaire jusqu’à 65 ans
  • le retour aux 40h sans perte de salaires
  • l’interdiction de tout licenciement sans reclassement
  • l’augmentation des salaires et appointements
  • une véritable formation professionnelle
  • l’abrogation des ordonnances
  • le maintien en pleine activité des industries existantes
  • l’implantation d’usines nouvelles dans la région
  • la démocratisation de l’enseignement
  • la garantie de l’emploi pour les travailleurs
  • la création d’emplois nouveaux pour les jeunes
  • la défense des libertés syndicales et politiques
  • une information publique objective
  • une transformation radicale de la société au service de l’homme

Aux usines SATEC et SOCADOUR de Tarnos, l’ensemble du personnel est en grève.

De nombreux ingénieurs, cadres et agents de maîtrise, à l’appel de l’union local CGC, obsèrvent un arrêt de travail d’une heure « pour marquer l’intérêt qu’ils portent aux inquiétudes des étudiants quant à l’emploi. »

L’ensemble des revendications acceptées à Turbomeca

Alors que la CGT y appelle à une grève de 24h et qu’une assemblée générale se tient dans l’atelier ajustage, la Direction fait appeler les délégués. Le PDG, M. SZYDLOWSKI, est inquiet. Alors qu’il est en cure à Vichy, il accepte de rencontrer les responsables syndicaux, en leur affrêtant un avion pour qu’ils puissent venir négocier.

Une discussion s’engage directement à l’aéroport de Vichy. À chacune des revendications présentées, le PDG répond « d’accord ». Les ouvriers obtiennent ainsi :

  • la pré-retraite
  • la diminution du temps de travail à 40h sans perte de salaire
  • l’incorporation de la prime d’assiduité dans le salaire
  • 2 heures d’information par mois
  • la 5e semaine de congés payés (en attendant le vote par le Parlement)
  • l’extension de la mensualisation à l’ensemble du personnel.

Compte tenu des résultats obtenus, l’activité de l’entreprise se poursuivra normalement durant toute cette période.

La solidarité entre grévistes et avec la population

Ce ne sera pas le cas dans une quarantaine d’autres entreprises du bassin de vie, à l’image des travailleurs de la MAB qui, le 16 mai, décident d’occuper leur usine et de séquestrer leur administrateur et leur PDG sur leur lieu de travail. Interpellé à l’assemblée nationale, le Ministre des Armée annonce passer une commande de 50 millions de francs à MAB. Le personnel des ateliers Breguet, par solidarité, débrayent une heure pour se rendre en cortège et en bleus de travail jusqu’à l’usine occupée.

Les cheminots, qui déclenchent leur grève le 18 mai, sont soutenus par les grévistes des PTT qui facilitent les communications entre grévistes dans les gares. À une époque où le téléphone portable n’existe pas, les télégrammes de solidarité affluent.

Dans les grands magasins en grève (Printafix, Dammes de france, aujourd’hui galeries Lafayette...), notamment dans l'enseigne Carrefour, on décide d’offrir les denrées périssables aux « Petites Soeurs des Pauvres » de Biarritz. Touchées, celles-ci viendront, matin et soir, apporter aux grévistes des repas qu’elles ont préparé pour eux.

Au Port de Bayonne, au lycée technique de Cantau et au CET de Tarnos, à l’ORTF de la Rhune (gardée par des parachutistes), les grèves sont partout, et les usines occupées par les travailleurs. Plus de 900 lycéens et collégiens se rassemblent lors d’un meeting place de la Liberté avant de défiler le 22 mai. Partout, des collectes sont organisées pour soutenir les grévistes.

Les accords de Grenelle

Les accord de Grenelle sont signés le 27 mai 1968 sur les salaires (ex : augmentation de 35 % du SMIG), la sécurité sociale, les libertés syndicales, la durée du travail, l’emploi et les retraites.

Dans un certain nombres d’entreprises de la région s’y ajoutent des revendications propres à chaque entreprise. Il en va ainsi de la SATEC à Tarnos.

Dans d’autres, en revanche, le combat continue. Par solidarité, les travailleurs des usines signataires ayant repris le travail dans la zone industrielle de Boucau-Tarnos versent le montant d’une journée de salaire à la collecte de fonds pour ceux qui luttent pour obtenir enfin satisfaction.

Progressivement, la situation revient à la normale. Les travailleurs, forts des acquis arrachés de haute lutte, regagnent les usines, les chantiers et les bureaux. Pour eux et leurs familles, à bien des égards, la vie ne sera plus comme avant.

Georges Séguy, secrétaire général de la CGT, écrira dans son livre « le mai de la CGT » : « Cette page de l’Histoire du Mouvement ouvrier français a été écrite, non par quelques hommes haut placés dans les responsabilités syndicales, mais par des dizaines de milliers de militants assistés de millions de travailleurs ».

Et Roger Etchegaray, Camille Bernatets, Jean Serres et Jacques Glize, auteurs d'une étude sur Mai 68 dans l'agglomération bayonnaise pour l'Institut d'Histoire de la CGT, de conclure : « Si la roue de l’Histoire ne peut revenir en arrière, Patronat et Gouvernement remettent sans cesse en cause les avantages qu’ils ont été obligés de concéder aux travailleurs en lutte. »